La création de Sutelec
I. Les Facteurs Externes
Le Sénégal sous Ajustement
Après le choc pétrolier de 1973 et la crise de la dette, le Sénégal a connu les premières politiques d’ajustements avec d’abord le « Programme de redressement économique et financier » (PREF) en 1979 et le programme d’ajustement à moyen et long terme (PAMLT), pour corriger, disait-on, les déficits budgétaires récurrents et les inefficiences des services publics.
Ce n’est que par la suite que les injonctions de la BM et du FMI toucheront directement les travailleurs avec le démantèlement d’entreprises publiques, notamment celles qui encadraient le monde rural (SODEVA, ONCAD) et le bradage de celles qui étaient soit dans les services ou le système bancaire.
Des milliers de travailleurs se sont retrouvés ainsi dans la rue et ont été obligés de rallier le secteur informel pour survivre. La deuxième génération des PAS recommandait aussi la privatisation des secteurs comme la distribution de l’eau, de l’électricité et les secteurs des télécommunications, secteurs où globalement tout restait à faire en termes d’investissement. Au niveau politique, l’avènement d’Abdou DIOUF qui accède au pouvoir à travers un simple réaménagement de la constitution, permet un élargissement de l’ouverture démocratique qui approfondit le régime des libertés politiques, naguère limité à quatre courants de pensée. Au début des années 80, plusieurs organisations syndicales seront mises en place des flancs de la seule centrale syndicale, la confédération nationale des travailleurs, la CNTS, affiliée au parti UPS/PS au pouvoir. C’est d’abord le SUDES en 1976 au niveau du secteur de l’enseignement et à sa suite des syndicats dans les principaux secteurs publics. Le SUTELEC sera créé en 1981 à travers ce processus.
II. Les Facteurs Internes
Le contexte national a été certainement un grand apport dans le processus qui a conduit à la création du Sutelec. Mais il fallait compter avec la détermination farouche des travailleurs de la Senelec de rompre définitivement d’avec la participation responsable. Pour ce faire, ils ont réussi à mettre à profit les énormes ressources dont ils disposaient pour construire pas à pas le syndicat qui à leurs yeux répondait le mieux à leur profonde aspiration.
C’est ainsi que les luttes qu’ils ont menées en 1979 et 1981 les ont aguerris et édifiés dans leur capacité désormais de gérer leur propre destin.
Le 20 février 1981, une déclaration d’intention de rompre définitivement d’avec la CNTS dans la participation responsable fut adoptée par une écrasante majorité des travailleurs de la Senelec.
Le 09 Août 1981, les délégués de toutes les régions tinrent une assemblée générale du Syndicat Unique des Travailleurs de l’Electricité (SUTELEC) dans une maison de la Medina et élièrent un bureau provisoire avec comme SG Omar Ba.
Le 02 février 1982, reconnaissance du SUTELEC par les pouvoirs publics avec la délivrance du récépissé.
Repères sur l'histoire du SUTELEC
1983 : Première élection des DDP sous la liste Sutelec avec
une large victoire
1984 Le 1er congrès à la mairie de DK, une page historique
Principale résolution : réaffirmer l’adhésion à la ligne syndicale d’indépendance, de démocratie et de lutte
Les statuts du personnel constituent la base de la
plateforme revendicative
Oumar Ba est élu SG
Le 2éme congres : 1987 à la mairie de DK
Thème central : Redressement de la Senelec
1985 : Elections des DDP. Le Sutelec reste majoritaire mais le Syntes fait une percée dans les régions.
1987 : Deuxième congrès ordinaire.Mademba Sock est élu SG.
Thème central : Le redressement de la Senelec
Une des résolutions considère la situation internationale caractérisée par une crise structurelle du système capitaliste et le libéralisme sauvage est entrain de liquider les acquis sociaux du peuple sénégalais et plus particulièrement ceux des travailleurs.
1988 : C’est la parution d’une note de direction portant revalorisation catégorielle des rondiers et graisseurs de C3 qui irrite les dirigeants du Sutelec qui y ont vu une entreprise de la DG, du Syntes et des pouvoirs publics de déstabilisation de leur syndicat. Une grève est déclenchée le 09 mai avec pour conséquence l’application de 10 points d’accords du statut du personnel en instance depuis 1984 et la correction des déséquilibres de l’organigramme.
1989 : Elections des DDP. Ecrasante victoire du Sutelec qui renforce son audience sur le plan national.
1990 : Troisième congrès ordinaire au centre Daniel Brothier
Thème central : Sauvegarde du service public
Une des résolutions préconise la création d’une centrale syndicale autonome.
1991 : Tenue de l’AG constitutive de l’UNSAS.Mademba Sock est élu SG
1992 : La grève la plus dure que le Sénégal contemporain n’ait jamais connue.
Pendant 3 jours, le Sutelec arrête toute production, de transport et de distribution d’énergie électrique sur l’ensemble du territoire national en solidarité avec la grève du Sutsas. Les dirigeants du Sutelec sont partout recherchés et traqués suite à la sortie du président Diouf qui les traite de criminels et promet de les châtier.
1994 : Quatrième congrès ordinaire au centre Daniel Brothier
Thème central : La lutte contre la privatisation de la Senelec
La résolution engage le Sutelec à tout mettre en œuvre pour amener le gouvernement à ne pas procéder à la privatisation de la Senelec.
Le régime de propriété de l’entreprise a beaucoup impacté sur les rapports sociaux au sein du secteur. Après les indépendances, comme dans beaucoup de pays africains, c’était une seule société qui gérait l’eau et l’électricité (EEOA) avec la présence d’experts et de cadres expatriés.
La nationalisation est intervenue tardivement en 1981 et les expatriés ne sont partis en totalité qu’en 1983. On comprend alors que dans l’imaginaire collectif des ouvriers et même de beaucoup de cadres nationaux privatisation
puisse renvoyer à un retour d’experts et d’expatriés grassement payés et souvent d’une compétence douteuse. Au-delà de ces facteurs explicatifs sur l’opposition à la privatisation, il y a ce que l’on pourrait qualifier de conquêtes sociales au sein de l’entreprise à travers des luttes très dures entre 1979 et 1992.
Dans le processus d’édification, le syndicat s’est battu pour améliorer notablement les niveaux de rémunérations des travailleurs et notamment des ouvriers de la production, mais tous les travailleurs ont bénéficié des fruits de ces luttes.
C’est ainsi que des luttes de 1979, 1981, 1984, 1988,1989 ont permis une réelle amélioration des conditions de travail avec un réaménagement du temps de travail sans perte de salaires, plus de justice sociale dans l’occupation des postes et une amélioration sensible des revenus avec la négociation de primes. On peut de ce point vu inférer que l’attachement des travailleurs au syndicat, du fait des bénéfices récoltés, était réel fondé sur des bases objectives.
1998 : En juillet 1998, prenant prétexte d’une menace de grève lors d’une sortie du syndicat dans la presse, le gouvernement mit en prison une partie de la direction syndicale, quelques éléments ont pu y échapper. Ainsi l’offensive du gouvernement mit à l’ordre du jour plus la reprise des travailleurs licenciés, une quarantaine, que la défense du service public. Même si la résistance fut organisée, la décapitation partielle du
syndicat constituait une nouvelle expérience inattendue et à laquelle les
travailleurs n’étaient nullement préparés.
Cette situation dura deux longues années et durant une bonne partie de cette période
ce fut une sorte d’état d’urgence dans l’entreprise avec la présence de gendarmes qui étaient censés garantir la sécurité et empêcher les travailleurs d’en arriver à des actes de tendance à perturber la production et la distribution de l’électricité. Apparemment le gouvernement voulait éviter la répétition de la grève de 1992. Au sein des travailleurs, on peut cependant noter que la solidarité s’est constituée et aura permis une prise en charge des licenciés et de leurs familles au moment où la trésorerie du syndicat ne le
permettait plus.
Cependant, l’implication de l’UNSAS allait compliquer la tâche des pouvoirs publics. Dès la rentrée, des séries de grèves, de mobilisations dans les rues, notamment par
les femmes, sont organisées par l’UNSAS. Malgré l’ouverture démocratique, les
marches étaient systématiquement refusées par les autorités, mais les organisations de travailleurs vont passer outre. Ainsi, dans tout le pays des mobilisations ont été organisées pour amener le gouvernement à libérer les leaders syndicaux retenus depuis juillet 1998.